jeudi 31 mai 2012

Clinton Fearon interview

Deux ans après la sortie de Mi Deh Yah chez Makasound, Clinton Fearon bassiste historique de la formation yardie, revient avec un album intitulé Heart and Soul, dans lequel il reprend, en version acoustique, les principaux titres écrits avec les mythiques Gladiators.
Chanteur et bassiste pendant 18 ans de ce groupe majeur de la scène jamaïcaine, il a composé certains des plus gros succès des Gladiators. A la fin des années 1980, Clinton Fearon s’installe à Seattle et commence une carrière solo. Il forme le Boogie Brown Band pour l’accompagner sur les scènes du monde entier et enregistrer avec lui plusieurs albums. Rencontre avec un indélébile pionnier du reggae, jamais en panne d’inspiration, dont l’apport musical pèse toujours aussi lourd, 45 ans après ses premiers pas sur Treasure Isle.

Heart and Soul vient de sortir, le 26 mars, sur le label Chapter Two Records. C’est un album acoustique où tu reprends tes chansons de l’époque Gladiators. Pourquoi avoir fait cet album, deux ans après Mi Deh Yah ?
Depuis longtemps, je pensais faire un album acoustique avec les chansons que j’ai écrites et composées pour les Gladiators. Beaucoup de gens me le demandaient aussi. Mais j’hésitais. Aujourd’hui encore beaucoup de personnes, notamment en Jamaïque, me connaissent en tant que Bassie, bassiste des Gladiators, et ne connaissent pas Clinton Fearon, le chanteur, l’auteur. J’ai longtemps hésité aussi avant de rependre la basse en studio! Et puis, après avoir produit Mi Deh Yah, nous avions les moyens de faire cet album acoustique, pas forcément produire un autre album avec le band, donc c’était le bon moment pour réaliser ce que j’avais en tête depuis longtemps…

Est-ce toujours un plaisir pour toi de jouer aujourd’hui les titres de cette époque avec les Gladiators ? Comment as-tu choisi ceux qu’on retrouve sur l’album ?
Oui, c’est un grand plaisir, vraiment un très grand plaisir ! Ces chansons représentent de nombreux souvenirs, et ce sont de formidables souvenirs. Pour choisir les chansons j’ai commencé à faire une liste des titres de l’époque qui me revenaient en mémoire et je me suis arrêté au bout de 16. Mais il doit y avoir quatre autres chansons que j’ai écrites avec les Gladiators et qui ne figurent pas sur Heart & Soul. Certaines n’ont pas été enregistrées et je ne m’en souvenais plus… De toute façon avec plus de 16 pistes nous aurions du faire un double album, donc je me suis arrêté là.

Pourquoi avoir choisi de l’intituler Heart and Soul ?
J’ai choisi ce titre parce que, quand je pense à ces chansons, je me rends compte qu’elles m’ont tenu éloigné des problèmes et qu’elles m’ont guidé dans la bonne direction. J’aime l’amour et toutes ces chansons m’ont permis de rester dans sa voie. Je pense que c’est le titre parfait pour cet album. C’est exactement ce que ces morceaux représentent pour moi : du cœur et de l’âme.

On y retrouve notamment « Richman Poorman » et « Chatty Chatty Mouth », deux classiques des Gladiators. Que ressens-tu quand tu vois que les gens aiment toujours autant ces chansons, après plus de 20 ans ?
Ca aussi, c’est un grand plaisir et un réel honneur ! Cela me donne l’envie et l’inspiration de continuer encore et toujours à faire de la musique.

Après Mi An’ Mi Guitar en 2005, une fois de plus, on peut constater que l’acoustique te convient bien. Comment s’est passé l’enregistrement de ce nouvel album ?
C’était formidable. Je l’ai enregistré à Seattle, au studio Aleph, avec Mell Dettmer, qui est ingénieur du son. Nous avons déjà travaillé ensemble sur plusieurs albums, notamment pour Mi Deh Yah, Vision, Give And Take et d’autres encore ! Nous nous connaissons donc depuis plusieurs années et nous avons une bonne entente musicale, c’est important. Tous les instruments qui ont été utilisés sont acoustiques : une basse acoustique, une guitare acoustique, des percussions… Aucune batterie ! Au départ nous avons enregistré la guitare rythmique et la voix lead en même temps, puis la basse, les percussions, et enfin les embellissements, c’est-à-dire quelques percussions originales, des lignes mélodique à la guitare et, bien sûr, des harmonies sur la voix principale. Mell a travaillé d’une manière particulière pour capturer les différents sons. Elle aime beaucoup ma musique, c’était un projet original qui l’intéressait vraiment, et elle a tout fait pour sortir le meilleur son possible. Elle a utilisé des micros allemands des années 50, des vieux effets de reverb’ ou de delay, une Echoplex... Et tout a été enregistré sur de vraies bandes avant d’être importé dans l’ordinateur. Ce n’est pas la même chose que de travailler directement en digital, le son est différent. En tout nous sommes restés neuf jours en studio, six pour les enregistrement et trois pour le mixage.

Depuis plus de 40 ans, tu joues du reggae et tu es toujours là. Ne manques-tu donc jamais d’inspiration ?
Il n’y a pas vraiment de moment où je n’ai pas d’inspiration, que ce soit pour écrire ou pour composer : ma guitare n’est jamais loin, j’aime créer des sons, des mélodies, des lignes de basse... En fait, très rarement j’ai pensé à faire autre chose que de la musique, quand les temps étaient durs peut-être, mais cela n’a jamais duré longtemps. Je suis toujours inspiré. Je travaille déjà sur le prochain album avec les musiciens du Boogie Brown Band et l’inspiration est bien présente, certaines chansons sont même déjà terminées. Je pense que l’on pourra découvrir ce nouvel album l’année prochaine.

Quel regard portes-tu sur l’évolution du marché de la musique ?
Money, money, money ! (rires) Nous perdons en qualité. La quantité est trop souvent privilégiée sur la qualité, pour générer de l’argent plus vite, plus facilement, et c’est bien dommage malheureusement...

Que penses-tu de la nouvelle génération jamaïcaine ?
Je pense qu’il y a beaucoup de bons chanteurs, de bons musiciens, et aussi de nombreux autres artistes prometteurs. Mais une partie de la musique actuelle tourne un peu trop autour de ‘‘drugs, guns and sex’’ et autres sujets vendeurs. C’est la voie rapide, un chemin facile dont on ferait mieux de se préserver pour prendre le temps de développer les jeunes talents. Et je pense que cela vaut pour les artistes autant que pour les producteurs !

Et de l’évolution du reggae roots ?
J’entends parfois dire que le reggae roots est mort mais je ne peux pas être d’accord avec ça. Il ne peut pas s’arrêter de vivre ! Il peut y avoir des pauses, il peut se vendre moins bien sur le marché, mais le reggae roots est toujours présent. Certains artistes de ma génération ont peut-être peur parfois de proposer quelque chose de nouveau et ils restent sur ce qu’ils ont fait il y a très longtemps, mais leurs messages inspirent de nouvelles générations ; c’est aussi ça, les racines du reggae. Je pense qu’il y a des cycles. Et c’est pourquoi je pense que les jeunes musiciens vont retrouver plaisir à jouer de leurs instruments plutôt qu’avec des ordinateurs et ainsi donner un autre souffle au reggae roots.

En ce moment, le monde est vraiment en crise. Qu’est-ce que cela t’inspire ?
Oui le monde est en crise et c’est aussi pour ça que j’ai autant hâte de travailler sur le prochain album. J’observe ce qui m’entoure, je vois comment notre environnement, notre société évoluent et comment tout cela nous affecte nous, les humains et les êtres vivants en général. Il y a beaucoup de choses à dire rien qu’en observant le monde bouger. Et j’aime aussi partager mes expériences de la vie, les leçons qu’elle me donne ; je me dis que ce qui m’a aidé dans des moments difficiles peut aider une autre personne.

Quoi de prévu pour le printemps et l’été ? On va bientôt te retrouver en tournée en France ?
Au printemps, nous serons en Europe, en France principalement, mais aussi en Suisse et en Espagne, pour présenter Heart & Soul. A chaque fois que j’écoute cet album, cela me réchauffe le cœur et j’ai très envie de savoir ce que le public en pense. Il y a une quinzaine de dates prévues pour cette tournée.
Ensuite, cet été, nous avons des concerts ici aux USA, autour de Seattle mais aussi en Alaska, dans le Montana et ailleurs. A l’automne, nous reviendrons pour une nouvelle tournée en Europe, toujours en acoustique.  Et, bien sûr, je continue de travailler sur le prochain album avec le Boogie Brown Band !

Quelques mots, un conseil, pour les lecteurs de Reggae Vibes ?
Faites ce que vous aimez et aimez ce que vous faites, le plus possible ! Continuez votre route, persévérez, ne prenez pas de raccourcis, prenez le temps de faire les choses bien. Continuez de faire ce que vous aimez et de lire Reggae Vibes ! Merci beaucoup pour votre soutien ! Much Love & Respect !

Simba


(pour Reggae Vibes Magazine #23 - avril/mai 2012)

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