En parcourant l’histoire du reggae music
et du sound system, le clash est une tradition jamaïcaine pleine de sens. Pour
une première à Nancy, notre Irie Crew proposait d’orchestrer l’affrontement en
règle de deux sound systems actifs de la région Est : Raggadikal Sound et Life n
Creation. Il va sans dire qu’un clash implique de faire place aux fameuses
dubplates, tous deux étant équipés en la matière, pour cette rencontre, le
samedi 5 avril, lors de cette première édition de l’OstraClash. En effet, la guerre musicale est prévue dans les lieux
où nous sommes conviés, une fois par mois, depuis environ un an, pour danser
sur du reggae dancehall, de minuit à l’aube, et passer un bon moment, en compagnie
d’Irie Crew et de Selecta Mao. Avec cette programmation clash, l’évènement est
différent : en plus d’être le rendez-vous de bonnes vibrations, la culture
musicale et sa transmission ne sont pas en reste.
A partir de 23h, l’Ostra se tient prêt,
avec, bien sûr, un large warm up assuré par Irie Crew pour se mettre en jambe,
avant d’assister à cette confrontation. Juste ce qu’il faut pour laisser les habitués,
curieux, et autres électrons libres, arriver et se mettre bien…
T-zion et Smocky se chargent d’animer et
gérer le déroulement du tournoi qui va suivre. Après un tirage au sort, Natural
Mat, qui représente Raggadikal, choisit de prendre les devants.
Pour
le premier round, chaque sound dispose de 20 minutes pour jouer librement les
titres de son choix, single ou dubplate. Natural Mat commence par présenter
son sound avec deux exclusifs, « Reggae Music » de Lord Bitum, le
fondateur de Raggadikal, et Sound Dynamik, avant d’enchaîner quelques titres
aux paroles de circonstance : Peter Tosh « Stepping Razor »,
Chronixx « Here Comes Trouble », Conroy Smith « Dangerous »,
Skarra Mucci refix Ken Boothe « When I Fall In Love », Cocoa Tea
« No Threat », Tenor Saw « Ring The Alarm »… Il s’adresse
ensuite à ses adversaires, avec des morceaux choisis spécialement pour chacun d’eux,
et des commentaires qui en disent long : The Gladiators « Chatty
Chatty Mouth », Konshens & Tarrus Riley « Imposta », quelques
titres sur le Stop That Sound riddim de Irie Ites (Sizzla « Hypocrites »,
Skarra Mucci & Perfect « Bombooclat »…), Buju Banton « Man
Fi Dead » puis « Talk To Me », Perfect « Nuh Badda Mi »,
Skarra Mucci « Murda Dem » sur le Sleng Teng… Déjà près d’une vingtaine
de titres parcourus, et plus que quelques minutes, le moment d’en placer
quelques uns de haut niveau, juste après un dubplate de TOK, témoignant des
dangers auxquels s’expose Life n Creation ce soir : Cutty Ranks
« Limb by Limb », Ini Kamoze « Here Comes The Hotstepper »,
Ninjaman « Ninja Mi Ninja », Bunji Garlin « Fire Fi Dem »
et enfin, TOK « Dem Diss ».
Le temps imparti est écoulé, même
légèrement dépassé, c’est au tour de Life n Creation de montrer ce qu’ils ont dans
le ventre, avec Lychar, Leev’Up et Revolution au contrôle. Même s’ils auraient
aimé être muni de leur box de vinyls ce soir, ce n’est pas ça qui risque de les
arrêter. James Brown « This Is A Man’s World » ouvre le set, suivi de
Bob Marley « Mr Brown », Desmond Dekker « Shanty Town (007) »,
et puisqu’ils souhaitent consacrer ce premier tour aux artistes disparus et
remonter dans le temps, sont aussi de la partie Junior Murvin, en version
dubplate, puis Peter Tosh « Oh Bumbo Klaat », Dennis Brown
« Revolution », un spécial de Sugar Minott, Nitty Gritty « Ready
Done », Joseph Hill de Culture « Policeman », Tenor Saw
« Golden Hen », Wayne Smith « Under Mi Sleng Teng », un remarquable
dubplate de John Wayne « Call The Police », et même Junior Byles
« Fade Away » – qui s’est malencontreusement glissé dans cette
sélection. Garnett Silk « Complain » et un émouvant spécial Matthew
McAnuff « Be Careful » clôturent la session de Life n Creation. Avec plus
d’une quinzaine de titres, le sound strasbourgeois a mis à l’honneur les
fondations, tout en montrant à Raggadikal que la suite ne leur fait pas peur.
Second
round, exclusivement dubplates, durée 15 minutes. Natural Mat commence par reprendre
Life n Creation, en jouant un « Revolution » devenu
« Execution », chanté par Leah Rosier – nommé counteraction – car ce soir il est question d’exécution et non de
révolution. Alborosie « Herbalist » prône « Raggadikal Kill
Another Sound » en dubplate des plus massifs, avant une lourde série sur
le Intercom riddim qui ne peut que faire des ravages : Reggie Stepper
« Cu-Oonuh », Burro Banton « Badder Den Dem », Kabaka
Pyramid… Johnny Osbourne « Budy Bye » sur le Sleng Teng riddim, Sizzla
« Solid as a Rock », General Levy sur le Belly Ska riddim, puis Lord
Bitum sur le Screw Dem, poursuivent dans la même trempe. En conclusion, ce sont
des lyrics francophones de Datune et Lord Bitum, ce dernier ne se privant pas de
s’adresser directement à Life n Creation. Voilà douze dubplates ou un petit aperçu
de ce que Raggadikal a dans ses dossiers.
Life n Creation est prêt à répondre. Ils
démarrent ostensiblement avec un spécial Capleton, The Fayaman, « Stand
Tall », suivi par Tarrus Riley « Protect Yuh Neck », Al Campbell
& Trinity « Hypocrites », puis Michael Rose, confirmant le niveau avec
Gyptian « Beng Beng », Terror Fabulous « Gangster’s
Anthem », Admiral Tibet « Serious Time », Ward 21 « See
Them Run » sur le Man Fi Dead riddim, Anthony B « Police », Mad
Cobra… Les classiques de Burro Banton et Reggie Stepper refont surface, tant ils
sont indispensables et toujours à point, arrivant sur Sister Nancy « Bam
Bam » chaudement amené, puis deux dubplates français, aussi très explicites,
dont Straïka D sur le Golden Hen riddim. Les règles définies pour ce clash ne
mentionnant pas la question du replay,
nos hôtes admettent qu’il est inutile d’en tenir compte ici. Life n Creation
vient de jouer quinze dubplates de taille. Il reste encore un round, ainsi que
le dub fi dub…
Troisième
round, exclusivement dubplates, à nouveau, 15 minutes. Raggadikal s’arrête
sur le manque d’originalité de Life n Creation, en introduisant Romain Virgo
« The System » et l’essentiel « Who Feels It Knows It ».
Tarrus Riley « We Nah Sorry » et Virtus « Take Care », tous
deux sur le Fade Away riddim, sont exactement dans l’esprit de ce qui est en
train de se passer sur place, appuyés par le grand Barrington Levi « Murderer »,
Kelsey pour un cover taillé sur mesure de Lorde « Royals », puis
Skarra Mucci « Raggamuffin », Bounty Killer « Look Into My
Eyes », un démentiel Lieutenant Stitchie, et même Supa Bassie en espagnol.
Le final est confié à Elephant Man, The Energy God, « Die By Gun »,
sur l’incontournable Bumaye riddim de Major Lazer, execution time, voilà qui
est dit.
Malgré tout ça, Life n Creation est encore
bien armé, ouvrant leur jeu avec un original featuring Duane Stephenson & I
Octane, Capleton sur le Ganja Farmer riddim, Luciano « Stay Away »
sur le Doctor’s Darling riddim et Fantan Mojah « Corruption », avant
un passage francophone, avec Tribuman, Don Valdes… précisément adressée à
Raggadikal, ou Raggadicule… Pour finir, Million Stylez arrive pour un spécial
« Miss Fatty » bien relevé qui donne « Life n Creation Yu A
Murdah », auquel le Baddaz riddim succède à la perfection pour achever le
second quart d’heure dubplates de Life n Creation.
Deuxième
round dubplate terminé, il ne reste maintenant plus que le dub fi dub, avant de
laisser le public faire son choix. Pour le dub fi dub, la tradition veut
que chaque sound joue à son tour un dubplate roots foundation. Il ne reste plus
que cinq dubplates chacun, dix en tout, avant le verdict.
Le premier pour Raggadikal est Toots
& The Maytals « 54-46 », auquel Life n Creation répond avec The
Slickers « Johnny Too Bad ». Un « Friday Night » de John
Holt pour Raggadikal, contre un autre John Holt pour Life n Creation. Un Bunny
Wailer « Run For Cover » de haut niveau, contre un Lloyd Parks qui
parle de Creation « Mafia ». Raggadikal joue Luciano « Serve
Jah », que Life n Creation évince avec un original rocksteady, bien plus
foundation. Et, pour le tout dernier dub, Raggadikal amène une nominative de Horace
Andy « Skylarking », tandis que Life n Creation clôture par The
Abyssinians « Satta Massa Gana » !
A ce moment-là, alors que cela fait déjà
plus de deux heures qu’ils nous livrent sur un plateau les pépites du reggae précieusement
collectées, le vote n’est plus très loin. On peut déjà reconnaître que les deux
sound systems présents se sont dignement affrontés, et que dans tous les cas,
le grand gagnant de ce soir est bien reggae music. Si chaque big tune avait un
poids réel, la sélection de ce soir dépasserait toute attente ! Big up à
Irie Crew, Raggadikal Sound, Life n Creation et tous les massives !
Smocky et T-zion lancent le vote, tenant
compte du nombre de mains levées. La salle est appelée à se séparer en deux : à
droite, ceux qui votent pour Raggadikal, à gauche Life n Creation. Beaucoup ne
sauraient les départager… Pour marquer cette victoire, la récompense prend la
forme d’un trophée et, bien sûr, le plaisir de jouer au côté d’Irie Crew
jusqu’à la fermeture des portes. Raggadikal l’emporte aux nombres de voies,
d’une petite poignée, et se retrouve donc vainqueur du premier OstraClash !