Chanteur et bassiste pendant 18 ans de ce groupe majeur de la scène
jamaïcaine, il a composé certains des plus gros succès des Gladiators. A la fin
des années 1980, Clinton Fearon s’installe à Seattle et commence une carrière
solo. Il forme le Boogie Brown Band pour l’accompagner sur les scènes du monde
entier et enregistrer avec lui plusieurs albums. Rencontre avec un indélébile
pionnier du reggae, jamais en panne d’inspiration, dont l’apport musical pèse toujours
aussi lourd, 45 ans après ses premiers pas sur Treasure Isle.
Heart and Soul
vient de sortir, le 26 mars, sur le label Chapter Two Records. C’est un album
acoustique où tu reprends tes chansons de l’époque Gladiators. Pourquoi avoir
fait cet album, deux ans après Mi Deh Yah ?
Depuis longtemps, je pensais
faire un album acoustique avec les chansons que j’ai écrites et composées
pour les Gladiators. Beaucoup de gens me le demandaient aussi. Mais j’hésitais. Aujourd’hui encore
beaucoup de personnes, notamment en Jamaïque,
me connaissent en tant que Bassie, bassiste des Gladiators, et ne connaissent
pas Clinton Fearon, le chanteur, l’auteur. J’ai longtemps hésité aussi avant de rependre la basse en studio! Et puis, après
avoir produit Mi Deh Yah, nous avions
les moyens de faire cet album acoustique, pas forcément produire un autre album
avec le band, donc c’était le bon moment pour réaliser ce que j’avais en tête depuis longtemps…
Est-ce toujours un plaisir pour toi de jouer aujourd’hui les titres
de cette époque avec les Gladiators ? Comment as-tu choisi ceux qu’on
retrouve sur l’album ?
Oui, c’est un grand plaisir,
vraiment un très grand plaisir ! Ces chansons représentent de nombreux
souvenirs, et ce sont de formidables souvenirs. Pour choisir les chansons j’ai
commencé à faire une liste des titres de l’époque qui me revenaient en mémoire et je me suis arrêté au bout de 16. Mais il doit y avoir quatre autres chansons
que j’ai écrites avec les Gladiators et qui ne figurent pas sur Heart & Soul. Certaines n’ont pas
été enregistrées et je ne m’en souvenais plus… De toute façon avec plus de 16 pistes nous
aurions du faire un double album, donc je me suis arrêté là.
Pourquoi avoir choisi de l’intituler Heart and Soul ?
J’ai choisi ce titre parce que,
quand je pense à ces chansons, je me rends compte qu’elles m’ont tenu éloigné
des problèmes et qu’elles m’ont guidé dans la bonne direction. J’aime l’amour
et toutes ces chansons m’ont permis de rester dans sa voie. Je pense que c’est
le titre parfait pour cet album. C’est exactement ce que ces morceaux
représentent pour moi : du cœur et de l’âme.
On y retrouve notamment « Richman Poorman » et
« Chatty Chatty Mouth », deux classiques des Gladiators. Que
ressens-tu quand tu vois que les gens aiment toujours autant ces chansons,
après plus de 20 ans ?
Ca aussi, c’est un grand plaisir
et un réel honneur ! Cela me donne l’envie et l’inspiration de continuer encore
et toujours à faire de la musique.
Après Mi An’ Mi Guitar en
2005, une fois de plus, on peut constater que l’acoustique te convient bien.
Comment s’est passé l’enregistrement de ce nouvel album ?
C’était formidable. Je l’ai
enregistré à Seattle, au studio Aleph, avec Mell Dettmer, qui est ingénieur du
son. Nous avons déjà travaillé ensemble sur plusieurs albums, notamment pour Mi Deh Yah, Vision, Give And Take et d’autres
encore ! Nous nous connaissons donc depuis plusieurs années et nous avons
une bonne entente musicale, c’est important. Tous les instruments qui ont été
utilisés sont acoustiques : une basse acoustique, une guitare acoustique,
des percussions… Aucune batterie ! Au départ nous avons enregistré la guitare rythmique et la voix lead en même temps, puis la basse, les
percussions, et enfin les embellissements, c’est-à-dire quelques percussions
originales, des lignes mélodique à
la guitare et, bien sûr, des
harmonies sur la voix principale. Mell a travaillé d’une manière particulière
pour capturer les différents sons. Elle aime beaucoup ma musique, c’était un
projet original qui l’intéressait vraiment, et elle a tout fait pour sortir le
meilleur son possible. Elle a utilisé
des micros allemands des années 50, des vieux effets de reverb’ ou de
delay, une Echoplex... Et tout a été enregistré sur de vraies bandes avant d’être importé dans l’ordinateur. Ce
n’est pas la même chose que
de travailler directement en digital, le son est différent. En tout nous sommes restés neuf jours en studio, six
pour les enregistrement et trois pour le mixage.
Depuis plus de 40 ans, tu joues du reggae et tu es toujours là. Ne
manques-tu donc jamais d’inspiration ?
Il n’y a pas vraiment de moment
où je n’ai pas d’inspiration, que ce soit pour écrire ou pour composer :
ma guitare n’est jamais loin, j’aime créer des sons, des mélodies, des lignes
de basse... En fait, très
rarement j’ai pensé à faire autre chose que de la musique, quand les temps
étaient durs peut-être, mais
cela n’a jamais duré longtemps. Je suis toujours inspiré. Je travaille déjà sur
le prochain album avec les musiciens du Boogie Brown Band et l’inspiration est
bien présente, certaines chansons sont même
déjà terminées. Je pense que l’on pourra découvrir ce nouvel album l’année
prochaine.
Quel regard portes-tu sur l’évolution du marché de la musique ?
Money, money, money ! (rires)
Nous perdons en qualité. La quantité est trop souvent privilégiée sur la
qualité, pour générer de l’argent plus vite, plus facilement, et c’est bien
dommage malheureusement...
Que penses-tu de la nouvelle génération jamaïcaine ?
Je pense qu’il y a beaucoup de
bons chanteurs, de bons musiciens, et aussi de nombreux autres artistes
prometteurs. Mais une partie de la musique actuelle tourne un peu trop autour
de ‘‘drugs, guns and sex’’ et autres
sujets vendeurs. C’est la voie rapide, un chemin facile dont on ferait mieux de
se préserver pour prendre le temps de développer les jeunes talents. Et je
pense que cela vaut pour les artistes autant que pour les producteurs !
Et de l’évolution du reggae roots ?
J’entends parfois dire que le
reggae roots est mort mais je ne peux pas être d’accord avec ça.
Il ne peut pas s’arrêter de
vivre ! Il peut y avoir des pauses, il peut se vendre moins bien sur le marché,
mais le reggae roots est toujours présent. Certains artistes de ma génération
ont peut-être peur parfois de proposer quelque chose de nouveau et ils restent
sur ce qu’ils ont fait il y a très longtemps, mais leurs messages inspirent de
nouvelles générations ; c’est aussi ça, les racines du reggae. Je pense qu’il y a des cycles. Et
c’est pourquoi je pense que les jeunes musiciens vont retrouver plaisir à jouer de leurs instruments plutôt
qu’avec des ordinateurs et ainsi donner un autre souffle au reggae roots.
En ce moment, le monde est vraiment en crise. Qu’est-ce que cela
t’inspire ?
Oui le monde est en crise et
c’est aussi pour ça que j’ai autant hâte de travailler sur le prochain album.
J’observe ce qui m’entoure, je vois comment notre environnement, notre société évoluent et
comment tout cela nous affecte nous, les humains et les êtres vivants en général. Il y a beaucoup de choses à
dire rien qu’en observant le monde bouger. Et j’aime aussi partager mes expériences de la vie, les leçons qu’elle me
donne ; je me dis que ce qui m’a aidé dans des moments difficiles peut
aider une autre personne.
Quoi de prévu pour le printemps et l’été ? On va bientôt te
retrouver en tournée en France ?
Au printemps, nous serons en
Europe, en France principalement, mais aussi en Suisse et en Espagne, pour
présenter Heart & Soul. A chaque
fois que j’écoute cet album, cela me réchauffe le cœur et j’ai très envie de savoir ce que le public
en pense. Il y a une quinzaine de dates prévues pour cette tournée.
Ensuite, cet été, nous avons des
concerts ici aux USA, autour de Seattle mais aussi en Alaska, dans le Montana
et ailleurs. A l’automne, nous reviendrons pour une nouvelle tournée en Europe, toujours en
acoustique. Et, bien sûr, je continue de
travailler sur le prochain album avec le Boogie Brown Band !
Quelques mots, un conseil, pour les lecteurs de Reggae Vibes ?
Faites ce que vous aimez et aimez
ce que vous faites, le plus possible ! Continuez votre route, persévérez, ne prenez pas de
raccourcis, prenez le temps de faire les choses bien. Continuez de faire ce que
vous aimez et de lire Reggae Vibes ! Merci beaucoup pour votre soutien ! Much Love
& Respect !
Simba
(pour Reggae Vibes Magazine #23 - avril/mai 2012)